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Droit à la preuve : recevabilité d’une preuve obtenue de manière illicite

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Daniel Bert

Daniel Bert

Maître Daniel BERT
Avocat au Barreau de PARIS
Maître de conférences des Universités
Docteur en Droit

Le droit à la preuve peut justifier la production en justice d’éléments extraits du compte privé Facebook d’un salarié portant atteinte à sa vie privée, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi

Dans cet arrêt, la Chambre sociale avait à se prononcer sur le point de savoir si un employeur pouvait licencier disciplinairement un salarié en raison d’éléments que ce dernier a publiés sur son compte privé Facebook et surtout si l’employeur peut rapporter de manière licite la preuve de la publication litigieuse (atteinte à la vie privée).

En l’espèce, une salariée avait été engagée à compter du 1er juillet 2010 en qualité de chef de projet export par la société Petit Bateau. Par lettre du 15 mai 2014, elle a été licenciée pour faute grave, notamment pour avoir manqué à son obligation contractuelle de confidentialité en publiant le 22 avril 2014 sur son compte Facebook une photographie de la nouvelle collection printemps/été 2015 présentée exclusivement aux commerciaux de la société.

En l’occurrence, la preuve des faits reprochés à la salariée dans le cadre de la procédure disciplinaire était issue de publications figurant sur son compte Facebook privé, rapportée par l’intermédiaire d’un autre salarié de l’entreprise autorisée à y accéder (« ami »).

Celle-ci soutenait que la preuve était irrecevable, se rapportant à un compte Facebook privé, non accessible à tout public mais uniquement aux personnes que cette dernière avait accepté de voir rejoindre son réseau et que l’employeur ne pouvait porter une atteinte disproportionnée et déloyale au droit au respect de la vie privée du salarié.

La question se posait alors de savoir si le procédé d’obtention de la preuve n’est pas déloyal, la production de la preuve en justice n’est-elle pas néanmoins attentatoire à la vie privée de la salariée?

La chambre sociale juge que la production en justice par l’employeur d’une photographie extraite du compte privé Facebook de la salariée, auquel il n’était pas autorisé à accéder, ainsi que d’éléments d’identification des personnes enregistrées comme « amis » destinataires de cette publication, constituait une atteinte à la vie privée de la salariée.

Pour autant, la chambre sociale rappelle que les juges du fond doivent mettre en balance, ainsi que le fait la Cour européenne des droits de l’homme, la protection de la vie privée et le droit à la preuve, et opérer ainsi un contrôle de proportionnalité en recherchant si la production litigieuse est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et si l’atteinte à la vie privée qui en résulte est proportionnée au but poursuivi.

En l’espèce, la chambre sociale juge que la cour d’appel a ainsi fait ressortir, d’une part, que la production de ces éléments était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et, d’autre part, que l’atteinte à la vie privée de la salariée avait été proportionnée à l’intérêt légitime de l’employeur tenant en l’espèce à la confidentialité de ses affaires.

Enfin, rappelant qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié peut justifier un licenciement disciplinaire s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail, la chambre sociale juge que la cour d’appel a pu retenir que la publication par la salariée sur son compte Facebook, regroupant plus de 200 amis travaillant dans le même secteur d’activité, de cette photographie de la nouvelle collection qui n’était pas encore publique constituait une violation de son obligation contractuelle de confidentialité.

Ainsi, la protection de la vie personnelle du salarié peut donc céder devant le droit à la preuve sous réserver de respecter certaines conditions strictement appréciées.

[Dans le prolongement de cette jurisprudence, la chambre sociale de la Cour de cassation a considéré le 25 novembre 2020 (Cass. soc., 25 nov. 2020, n° 17-19.523) que les adresses IP sont des données à caractère personnel dont le traitement devait faire l’objet d’une déclaration préalable auprès de la CNIL avant l’entrée en vigueur du RGPD. Toutefois, l’absence d’une telle déclaration n’entraîne pas nécessairement le rejet de ce moyen de preuve. Il appartient au juge d’apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie privée du salarié et le droit à la preuve].

Cass. soc., 30 sept. 2020, n° 19-12.058

Photo:Janis-Fasel-pF-llHgCZ5U-unsplash

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